Après la lecture critique de la Constitution, je tire quelques règles potentielles puis j’élargis à ce que doit/devrait être une constitution.
1) La structuration
Une des premières règles c’est qu’avant d’être utilisée une notion doit être définie. Ça peut sembler un peu bête voir superfétatoire en particulier pour les spécialistes du droit qui rebondissent de renvoi en renvoi comme des cabris.
Mais pour une première lecture et d’une façon générale pour faciliter l’abord d’un texte, et son usage y compris par des citoyens moins affûtés que des juristes, il est préférable de structurer le texte en mettant d’abord les définitions et concepts en premier. Comme ça on sait de quoi on parle.
Ensuite les détails de composition, les attributions, caractéristiques et spécificités. Bref la description détaillée des divers organes.
Puis les attributions, obligations, interdits et modes de fonctionnement.
Puis les modes d’élection et de nomination.
Et enfin les procédures particulières de garantie de stabilité, de dissolution, de gestions de conflits et autres situations rares / atypiques / problématiques pouvant nécessiter que des orientations soient données en prévisions de situations improbables on ne peut pas tout anticiper mais on peut anticiper beaucoup de choses).
2) Gérer l’ordre de priorité des textes
Et en particulier s’il y a renvoi à des textes de type « loi organique ».
La constitution de 1958 jusque dans sa version de juin 2014 fait abondamment appel à « La Loi » et à des « lois organiques » sans préciser ce que c’est ni ce qu’une loi organique peut ou pas dire. C’est tout de même un peu étrange. La constitution qui est le texte fondateur devrait définir l’ordre de priorité 1) La constitution elle-même 2) La déclaration des droits de l’homme et du citoyen (ou pas ?)… et ensuite ?
Ensuite se pose le problème de la priorité que l’on donne aux textes issus des traités négociés avec des puissances étrangères et en particulier les textes européens. Dans la constitution actuelle de 1958 version 2024 les textes européens et les traités ont une place très haute dans la hiérarchie des textes. C’est un problème. L’Europe aujourd’hui est une communauté d’intérêts économiques qui n’a jamais été habilitée par le peuple à régir des domaines comme le budget de l’état, la place des services publics dans la société, l’éducation, les investissements stratégiques. De plus la constitution actuelle a permis de signer le traité de Lisbonne, ersatz allégé du traité de constitution européenne rejeté par le peuple. Une telle manœuvre aurait du être inconstitutionnelle et retoquée sans ménagement par le Conseil Constitutionnel.
Il devrait en tout cas y avoir une limitation du périmètre où les accords entre états peuvent être prioritaires sur les lois et principes en vigueur : pour les traités de paix, accords de cessez le feu, coopérations militaires à l’extérieur des frontières par exemple ça peut avoir du sens. En matière économique il faut déjà être plus prudent,en matière d’éducation, de budget de l’état, de civil ou de pénal ça peut vite devenir très dangereux. Une constitution doit sécuriser ça.
3) Définir et orienter les loi dites organiques
Déléguer certains éléments d’organisation de la République et de l’État en faisant appel à la notion de loi organique permet de simplifier et d’alléger la constitution. Soit.
Mais la façon dont c’est fait aujourd’hui n’impose pas aux lois organiques de remplir certains objectifs si ce n’est de ne pas être frontalement en contradiction avec la constitution. Et on a vu par la suite que des pans entiers de lois organiques structurantes pouvaient être abrogés, transformés, amendés, remaniés ou même inversés.
Ça n’est pas une contrainte très forte que la constitution impose pour les lois organiques et aujourd’hui très peu est fait pour orienter ces lois pour demander à ce que des principes de démocratie, d’équité, d’éthique, de transparence soient mis en oeuvre et sanctuarisés.
Par ci par là on a des choses intéressantes, exemple l’incitation à l’équilibre hommes/femmes dans les responsabilités. Mais pour garantir un fonctionnement démocratique sain on pourrait mettre des contraintes pour que les processus électoraux soient plus vertueux, que la corruption soit découragée, que les medias ne faussent pas l’information, que les politiques ne puissent pas mentir devant le peuple ou leurs représentants sans devoir en assumer le prix (sanctions dissuasives)…
Bref il faut que l’on donne un cadre, des orientations et des objectifs aux lois organiques.
4) Travailler la robustesse
Une constitution doit anticiper le cas où les choses ne fonctionneraient pas comme prévu, où des gens ne joueraient pas leur rôle correctement… par intérêt personnel, par revanche, par fierté, par peur de quelque chose… et ce y compris dans les rôles les plus critiques au sommet de l’état.
Des cas de crise peuvent arriver pour des tas de raisons: intérêt personnel, idéologie, influence extérieure… et en rédigeant de tels textes on ne peut pas faire l’économie d’envisager de telles hypothèses. Elles sont déplaisantes à envisager mais lorsqu’on parle du fonctionnement d’un État on ne peut pas s’offrir le luxe de faire fi des travers humains, y compris la corruption pour l’intérieur et compris l’activisme étranger hostile.
Il est plus que souhaitable de s’efforcer de prévenir ces cas de figure par des mécanismes démocratiques sains, de la transparence, des comptes à rendre mais ça ne suffit pas de juste prévenir.
Il faut également prévoir des mécanismes de « défense » de la république pour neutraliser les menaces ou corriger les dysfonctionnements. Ça peut nécessiter un peut de réflexion, beaucoup de « remue-méninges » et de créativité ne serait-ce que pour imaginer les cas improbables de dysfonctionement.
Pour ça on peut appliquer la « méthode Disney » :
1 phase de créativité
2 phase de critique (Et si xxx ? Et si yyyy ? etc.)
3 phase d’ajustements pour répondre aux critiques.
5) Faire appel au peuple
Dans une démocratie, dont le principe et le gouvernement PAR le peuple et POUR le peuple il n’est pas illogique que le peuple soit saisi souvent de questions et appelé souvent à se prononcer.
En Suisse les citoyens sont appelés à se prononcer quasiment tous les dimanches sans que ça pose de soucis.
La réaction classique des « hypo-démocrates » et autres « dys-démocrates » est d’expliquer que ça n’est pas raisonnable, que nous sommes beaucoup trop nombreux, que c’est trop compliqué… mais c’est faux.
Il y a 8 millions de personnes en Suisse. Il y a 5 millions de personnes en PACA : On pourrait faire voter les gens de PACA sur des questions concernant la région.
Les suisses votent par cantons très régulièrement : le canton de Zurich fait 1.5 millions de personnes, et ils votent tous les mois sur des questions relevant du canton. Le département des bouches du rhône fait 2 millions de personnes et c’est un des 3 plus gros de france. On pourrait avoir une implication régulière des citoyens par le vote à ces échelles… et à fortiori à des échelles plus petites : villes et villages.
C’est d’ailleurs théoriquement prévu par la constitution actuelle… sauf que ça n’est quasiment jamais mis en oeuvre. C’est pour ça que j’ai coutume de dire que notre république en France est une démocratie de basse intensité. Plus du fait des hommes et des habitude que du fait de limitations qu’imposerait la constitution à l’exercice démocratique.
Décentraliser plus, faire plus appel au peuple pour tout un tas de questions… l’urbanisme, l’aménagement du territoire, l’écologie, peut être aussi que l’éducation pourrait relever en partie de la démocratie locale (il faut tout de même un tronc commun national permettant aux citoyens de « faire nation »: la langue commune, l’apprentissage de la citoyenneté, l’histoire, la géographie, des bases de mathématiques et de raisonnement, un peu d’économie, l’apprentissage de l’esprit critique…)
Et à l’échelle d’une circonscription on pourrait imaginer que des citoyens puissent décider de révoquer leur député s’il ou si elle fait n’importe quoi… ils pourraient aussi, pourquoi pas, inverser le vote de leur député sur une question donnée si le vote était en scrutin public…
Tout ça ne nécessite pas le déclenchement d’une énorme machinerie référendaire à l’échelle de toute le France.
Et même pour des questions structurantes comme la réforme des retraites, la place des services publics, le fonctionnement des media, la construction de l’Europe il serait souhaitable que le peuple soit sollicité et puisse trancher bien plus souvent.
Ou même sur des sujets plus clivants comme l’immigration on pourrait demander au peuple de se prononcer entre plusieurs approches. Ça permettrait sans doute d’apaiser beaucoup de choses que le peuple arbitre certains sujets.
6) Prévoir des mécanismes de stabilité
Vacance à des postes clés, désaccords entre l’exécutif et le législatif, gouvernement allant à l’encontre de la volonté du peuple, cas de corruption aux plus hautx niveaux de l’État, guerre avec une puissance tierce ou même guerre civile il y a des tas de contextes ou les institutions peuvent être mises à rude épreuve.
Il faut que la constitution prévoie ces cas et donne les orientations pour garantir la stabilité et la gouvernabilité du pays toujours dans l’intérêt du peuple.
5) Éviter les ré-écritures complètes
Ça semblera une évidence pour des développeurs d’applications critiques. Ça le sera moins pour d’autres. Et ça me fera définitivement passer pour un grognon aux yeux des tenants d’une VIe république avec une constitution toute neuve.
Je ne suis pas partisan du redémarrage de la page blanche pour faire une VIe république.
Après 20 an passé à tremper dans les modernisations logicielles et les projets de « refonte », sur des sujets critiques, j’ai appris 2-3 choses:
1) Quand on a un logiciel que l’on connait bien il est relativement sur de corriger les failles: on sait comment ça fonctionne, on sait ce qui ne va pas, et quand on change quelque chose on a une idée relativement claire des effets, même si le changement est substantiel.
2) Si on repart de la page blanche les bugs que l’on va laisser dans le nouveau système produiront potentiellement des effets bien plus graves que les problèmes que l’on voulait corriger dans le logiciel ancien.
3) Quand on a pas d’environnement de test qui permet de vérifier que le nouveau système fonctionne comme prévu sans l’utiliser pour de bon… il faut être doublement, triplement prudent avec les innovations.
Or changer de constitution c’est ultra-critique et les tests que l’on fait c’est sur nous-mêmes et pour de vrai… il n’y a pas d’environnement de test fiable et représentatif. Et demander à un pays voisin de tester à notre place je ne suis pas certain que ça soit envisageable.
Je suis donc plutôt pour imaginer une évolution de notre 5eme république en version 5.1 au lieu de tenter l’aventure risquée d’une 6eme république partant de la feuille blanche.
Je préférerais garder les deux chambres et le président, pour éviter de changer l’architecture mais en changeant les modes de scrutin, et travaillant sur une meilleure séparation des pouvoirs, sur une plus grande vertu démocratique, une plus grade implication du peuple et un fonctionnement plus décentralisé sous un contrôle accru par les citoyens. Bref une version améliorée, renforcée et assainie de la v5 de notre république pour en faire un v5.1 hyper-démocratique.
Qu’en pensez vous ?