Imaginez un bateau, un gros bateau du genre navire de croisière croisière… Imaginez maintenant au commandes un barreur qui gère le cap à grands coups de gouvernail.
Un grand coup à droite, un grand coup à gauche, toutes les 5 minutes un grand virage… imaginez la nausée des passagers tous pris par le mal de mer…
Un enfer!
Et probablement beaucoup, beaucoup de vomi partout (pardon je n’ai pas pu m’en empêcher).
Changeons d’échelle.
Imaginez maintenant un navire beaucoup plus gros contenant 70 millions de français. C’est gros hein ? On pourrait l’appeler la France par exemple…
Et imaginez que les coups de gouvernail aient lieu tous les 5 ans… du genre costauds.
Ça serait bien ou pas pour les « passagers » ?
La gestion à coups de gouvernail
C’est pourtant ce qu’on vit tous les 5 ans :
Une élection présidentielle suivie d’une élection législative, puis un changement de gouvernement et toutes les cartes politiques sont rebattues.
D’une majorité on passe à une autre… et on prend un énorme « coup de gouvernail ».
Les nouveaux aux commandes vous diront évidemment que « c’est l’alternance », que « c’est la démocratie », que c’est « l’expression de la volonté du peuple »…
Peu importe leur « bord » ils remercieront les français pour leur vote, avec une émotion poignante, il se déclareront au service de tous les français, en appelleront au rassemblement… puis s’empresseront d’oublier ces belles envolées démocratiques pour appliquer leur « programme ».
Et rappelleront qu’ils ont été élus démocratiquement, affirmeront que les français les ont élus pour appliquer ce fameux « programme ».
Peu importe que le programme en question soit réellement demandé par seulement 20% ou 10% du corps électoral. C’est ce qu’ils feront. Peu importe leur bord d’ailleurs tous fonctionnent comme ça.
Parce que tout les y pousse.
Parce que nos modes de scrutin ne sont pas pensés pour « résister » à ce genre de pratiques… ils sont au contraires prévus pour fonctionner avec en complément une forme de « tradition républicaine » que l’on a tendance à oublier… celle qui veut que l’on pratique le référendum, celle qui veut que l’on démissionne quand on est désavoué, celle qui veut que l’on démissionne de ses responsabilités lorsqu’on est mis en cause…
Or cette tradition en réalité n’a plus cours. Elle n’a plus cours du tout.
Il y a des tas d’explications à ça… et elles contribuent toutes à conduire vers une amplification du ce phénomène de « coups de gouvernail ».
L’une d’elles est que pour l’essentiel les élus « appartiennent » à des structures qui « les ont fait » : ils commencent militants dans un parti puis sont repérés et progressent dans la structure jusqu’à devenir des « têtes d’affiches » électorales.
Sauf que ça les met en situation de dette morale vis à vis du parti à qui ils « doivent tout » : difficile une fois élus de résister à ce poids moral. Bien sur la loi dit qu’un élu, et en particulier un député, est au service de tous les français (et pas seulement les électeurs de sa circonscription). Voter contre la consigne de vote de son groupe est… compliqué. Au minimum.
Cette pression est pourtant perverse. Et d’autant plus perverse qu’elle est inexprimée le plus souvent. Un responsable de parti n’ira pas ouvertement dire à un député « tu vote comme on te dit, on t’a fait, tu nous es redevable de tout, et on peut tout aussi bien te défaire… tu désobéis encore et tu es fini ».
Il n’y a sans doute pas besoin d’ailleurs… c’est la « famille politique », lors des formations , des séminaires, des « universités » on y apprend à faire bloc, à se soutenir, à serrer les rangs… et ça reste « gravé » d’une certaine façon.
Le problème
Or rien ne vient contrebalancer ça, rien ne vient rappeler que ce qui fait l’élu c’est avant tout l’électeur par son vote. Rien ne vient rappeler au parti que « le peuple » doit passer avant le parti et les logiques de « groupe ». J’ai failli écrire de « meute » mais c’est un peu fort.
Rien ne permet à l’électeur de marquer son mécontentement ou sa défiance.
On a bien le vote blanc, mais il n’a aucun effet. On a le vote nul qui est considéré comme une erreur technique. Et l’abstention (monumentale aujourd’hui) qui est assimilée à du je-m’en-foutisme malgré son caractère protestataire évident.
Il manque quelque chose à ce système… quelque chose qui redonne du pouvoir à l’électeur. Certains ont imaginé le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Bien conçu ça pourrait être un outils fantastique pour plein de choses. Mais ça n’est pas de ça que traite ici.
Un élu à 60% des voix exprimés pour une participation à 90% est aujourd’hui doté des mêtres prérogatives qu’un élu à 54% des voix exprimées pour une participation de 30%.
Or dans le 1er cas 48% du corps électoral a voté « pour » et dans le 2e 15% des électeurs ont voté « pour ».
Les deux sont élus. Là il n’y a pas de sujet. Mais il y a là une différence de « légitimité » qui ne se reflète nulle part… ni dans le « salaire » ni das les attributions, ni dans les prérogatives. Bref cette différence n’est reflétée nulle part.
Et avec le mode de scrutin actuel on a d’ailleurs du mal à « mesurer » précisément cette légitimité: ceux qui ont voté blanc peuvent aussi bien l’avoir fait en faisant confiance à la « sagesse du groupe » qu’en signe de protestation. De la même façon un abstentionniste peut avoir boudé les urnes aussi bien par pur laisser faire qu’en signe de rejet.
Il manque quelque chose… un vote qui soit le contraire de blanc et qui permette de différencier la confiance de la défiance.
Le taux de légitimité
Ce que je propose est donc de rajouter un « vote noir »… le blanc signifiant alors « choisissez pour moi » (autrement dit tous les candidats me vont et je ne sais pas me prononcer). Le noir signifiant l’inverse « aucun des candidats ne me va ».
On peut alors calculer le taux de légitimité (par exemple au 2e tour d’une élection législative) :
T= (Votes pour le vainqueur + Votes blancs ) / (Tous les votes valides exprimés, dont les noirs)
Comment l’utiliser
Plusieurs usages sont possibles. Le premier et le plus important est la durée du mandat.
L’idée est qu’au taux maximum de légitimité (tout le monde est venu voter pour Monsieur A) le mandat sera par exemple de 7 ans.
Et au taux minimum le mandat sera par exemple de 2 ans. Le temps de faire ses preuves d’une certaine façon.
On peut imaginer aussi indexer le « salaire » sur ce taux de crédibilité : au minimum le député est au SMIC et au maximum le député est à mettons 6_000€.
Le changement, bien qu’en apparence léger, créerait en réalité une révolution complète des pratiques à l’assemblée.
Évidemment mettre en place une pareille mesure commencerait par une sorte de « coup de tonnerre » démocratique : les citoyens j’en suis convaincu se défouleraient à coups de votes noirs et la première fois ça serait un véritable festival de taux très bas. Avec quelques exceptions évidemment. Certains députés sont très aimés et reconnus dans leurs circonscriptions.
Assez rapidement cependant ça se « normaliserait » avec des taux de légitimité variables d’une circonscription à l’autre.
Le résultat est qu’il n’y aurait assez vite plus de synchronisation pour les élections législatives … elles redeviendraient du coup un phénomène de choix local… les grands médias nationaux ne pouvant plus faire de grandes soirées électorales tous les trois ou quatre jours…
Et il n’y aurait plus de grands bouleversements de majorité à l’assemblée… les évolutions de compositions à l’assemblée nationale se feraient de façon progressive et continue.
Avec des arrivées et des départs répartis dans l’année l’accueil des nouveaux députés pourrait être plus aisé pour les agents qui travaillent à l’assemblée au passage.
Ça veut dire aussi que dans chaque circonscription les électeurs auraient une idée assez précise de la composition de l’assemblée et pourraient voter en tenant compte de la situation pour renforcer un groupe plutôt qu’un autre.
Et le président ?
Le président pourrait toujours dissoudre l’assemblée à peine élu ? Pas tout à fait…
Le coefficient de légitimité s’appliquerait à lui de la même façon… et sa durée de mandat serait donc variable entre 2 et 7 ans…
Pareil pour son « salaire »…
Mais ça ne s’arrête pas là… en cas de dissolution la dissolution ne serait plus complète… ne partiraient que les députés qui ont un taux de légitimité inférieur à celui du président.
Et le 49.3 et le 47.1 ?
Ces articles ne seraient plus forcément utilisables : par exemple, si le taux de légitimité du président est inférieur à la moyenne des taux des députés ces articles ne seraient plus utilisables.
A l’inverse une motion de censure ne peut être proposée que par assez (60 ?) de députés dont le taux de légitimité est supérieur à celui du Président.
Ainsi le niveau de confiance des électeurs devient une donnée clé et permanente du fonctionnement des institutions. Obligeant les élus à se rappeler que leur fidélité doit d’abord aller à leurs électeurs avant les lobbys et les partis.
Et les ré-élections ?
Plutôt que d’interdire des mandats successifs ou des les limiter on pourrait imaginer là aussi d’utiliser le taux de légitimité… un candidat à sa propre ré-election ne pourrait pas, pour un 3e mandat ou un 4e mandat, être éligible si son taux de légitimité a « trop baissé » (valeur à déterminer). Dans ce cas là c’est le perdant théorique à qui on donne sa chance… avec du coup un taux de légitimité bas… charge à lui de faire ses preuves…
Une ébauche à retravailler
Cette proposition souffre certainement de failles qu’il faudrait identifier et traiter mais je suis convaincu que ça peut être une piste (parmi d’autres) à travailler pour assainir et revitaliser notre démocratie…
Elle a l’avantage de ne pas bouleverser non plus la 5e république… ré-écrire une constitution est un exercice complexe et périlleux. Je suis convaincu que comme pour les systèmes d’exploitation informatiques il est préférable de faire une version v5.1 corrigeant les faille de la v5.0 plutôt que de faire une v6.0 toute neuve et d’en découvrir les failles à l’usage. #LawIsCode.
Et ensuite ?
Cette proposition répond à quatre « besoins démocratiques » :
- Le droit au vote de défiance… le fameux bulletin noir qui impacte le « taux de légitimité »
- Le droit à l’essai pour les électeurs… pouvoir donner une chance à un citoyen de faire ses preuves sur une période plus courte avant d’envisager une prolongation…
- Ré-équilibrer un petit peu les choses pour rappeler aux élus que leur fidélité doit d’abord aller aux électeurs avant d’aller à leur parti ou à je ne sais quelle minorité.
- Stabiliser, lisser l’évolution de l’Assemblée Nationale pour réduire les effets de « coup de gouvernail »
Mais ça ne fournit pas un dispositif qui à lui seul assainit le fonctionnement de notre démocratie.
Il manque à minima :
- Le droit à l’erreur pour les électeurs… pouvoir révoquer un député qui ne fait pas ce qu’on attend de lui. Ainsi, et là aussi en fonction du taux de légitimité, un nombre suffisant de citoyens devraient pouvoir déclencher un référendum révocatoire. En fonction du taux de légitimité ça veut dire que plus le taux de légitimité est haut plus le nombre de citoyens nécessaire à déclencher le référendum révocatoire devra être important.
Par exemple avec un taux de légitimité de 15% correspondant au « véritable » soutien de 15% des électeurs… on pourrait imaginer qu’il faille 8% (La moitié arrondie au % supérieur) des électeurs pour déclencher le référendum révocatoire. Pour une circonscription de 100_000 personnes ça ferait 8_000 signatures. Le député sur la sellette aura sans doute à cœur de s’intéresser aux attentes de ses électeurs et de les informer avec beaucoup de transparence…
Avec un taux de légitimité de 54% et le même calcul (la moitié avec arrondi) il faudrait 27_000 signatures pour déclencher le référendum révocatoire. - Le droit d’inverser un vote de député pour les électeurs : selon le même principe de déclenchement qu’un référendum révocatoire une référendum d’inversion de vote pourrait être déclenché pour indiquer au député qu’il ne fait pas ce que ses électeurs attendent de lui. Moins « dur » que le référendum révocatoire il permettrait toutefois aux électeurs de se mêler de ce qui les regarde.
Plus « souples » que le référendum systématique à mi-mandat ces outils supplémentaires renforceraient encore le lien entre le député et ses électeurs contrebalançant ainsi plus fortement la pression morale.
On pourrait également imaginer qu’un député plusieurs fois (2 fois de suite ?) en dessous d’un certain seuil de légitimité (Ça serait valable surtout au premier tour, mettons 5% par exemple) se retrouve inéligible sur sa circonscription pour les N (3 ? plus ? moins ?) élections suivantes afin de créer les conditions du renouvellement démocratique.